C'est la
désolante saga d'un fromage d'abord appelé Hollande et fabriqué avec la
crème des grandes écoles puis rebaptisé Président avant de se liquéfier
peu à peu, en dépit de sa graisse personnelle, jusqu'à s'identifier au
yaourt à 0%. Le refus de prendre ses distances avec la crémerie sous
prétexte qu'un bail, récusé aujourd’hui par presque tous les
signataires, lui assure encore deux ans et demi de pas-de porte, semble
avoir fait définitivement tourner le bon lait de la tendresse
électorale.
L’amour
pour ma patrie étant plus fort que l'amour-propre, j'en arrive à
regretter d'avoir, dès Ie début de l’année de disgrâce 2012 et en
basculant déjà dans l'opposition, tout prévu des malheurs qui allaient
fondre sur nous. A savoir l’incompétence gouvernementale d'un cacique de
province propulsé directement de la direction du département le plus
endetté du pays à la tête de la cinquième puissance mondiale. Une
incapacité à rallumer les fours de la croissance, beaucoup plus
angoissante que celle d'un réparateur de chaudière connaissant mal son
métier.
L’entêtement
idéologique, le défaut de pragmatisme et le manque de charisme ont
abouti à ce que, élu voilà trente mois avec 52% des voix, Hollande ne
disposerait même pas aujourd'hui d'une majorité au conseil municipal dc
Tulle. Certains remarqueront qu'on ne doit pas plus apprendre
I'arithmétique que l'orthographe à l’ENA. D'autres dresseront la liste
des bons sentiments tombés en quenouille, des promesses non tenues parce
qu'intenables et des formules pompeuses vidées de leur sens par les
réalités. Emplois d'avenir devenus jobs sans lendemain. Soi-disant
pactes impliquant I'accord de tous mais rejetés la semaine suivant Ieur
annonce. Suppression des impôts mais pour ceux qui n'auraient jamais dû
en payer. Le pouvoir devient une impasse lorsque le peuple descend dans
la rue. La mosaïque formée par les déçus, mécontents, protestataires qui
recouvre toutes les régions, toutes les générations, toutes les
professions. Les policiers se suicident. Les paysans sont désespérés.
Les médecins ferment leurs cabinets. Les avocats retirent leur robe. Les
huissiers sont tout saisis. Pour la première fois, les enseignants, les
parents et les enfants éprouvent Ie même ras-le bol.
Les
mensonges d'Etat s'érigent en système de communication. Le remplacement
des 16 « Moi Président », qui ont fait, paraît-il, la victoire contre le
seul "sans-dents » qui consomme la défaite. Les braves gens ne
comprennent pas qu'on puisse terminer un quinquennat alors qu'ils n'ont
pas de quoi finir le mois. Un endettement galopant dont on n'ose même
plus préciser le montant. Un chef des armées faisant tomber nos soldats
un à un dans des pays improbables, s'immisçant dans des luttes tribales
et des guerres de religion au nom d'un passé révolu. Un va-t-en-guerre
menaçant de ses canons un tyran syrien mais ne réussissant à faire fuir
que vers Bruxelles ou vers Londres les riches de son propre pays. Sans
oublier le summum de l’irresponsabilité : la fausse nouvelle de la
libération - jamais intervenue à la suite de tractations jamais amorcées
- des 250 jeunes filles nigérianes mariées de force à leurs ravisseurs.
Et que
dire l’image véhiculée par des médias moins friands de séductions que de
ridicules ? Un personnage mal fagoté, affublé par son tailleur,
déguisé par son chemisier, abandonné par ses amis, décrié par ses
femmes, mal entouré, mal conseillé, mal dans une peau tavelée par les
coups reçus de toutes parts. Une vie privée vaudevillesque jalonnée par
l'octroi d'un ministère plutôt que d’un pacs à la mère de ses quatre
enfants, poursuivie par le répudiation publique en dix-huit mots d’une
femme aimée pendant sept ans et achevée par l'édition d'un livre de
secrets d'alcôve griffonnés au saut du lit.
Pour
l'heure, les appartements, désormais moins privés, de l'Elysée verraient
débarquer chaque soir et repartir chaque matin une comédienne dont il
faudrait vérifier que les horaires tardifs et la régularité des
prestations n'enfreignent pas la législation du travail de nuit.
Non
seulement, je n'envie pas sa place mais je le plains de s’y accrocher.
Car je n’ose imaginer cette marionnette pathétique ne tenant plus qu'à
un fil, errant dans le triste palais-bureau déserté par Ies courtisans
lorsqu'une secrétaire embarrassée prétend que par suite d'une grève de
la distribution affectant seulement le 55 rue du Faubourg Saint-Honoré,
les odieux quotidiens et les méchants magazines ne sont pas arrivés.
« Le pauvre homme », comme disait Orgon dans Tartuffe. Un père de Ia
Nation en l’honneur duquel Ies enfants n'agitent plus de petits drapeaux
qu'à Bamako et qui ne peut plus parcourir l'Hexagone sans se faire
huer.
A
Hollande qui lui faisait remarquer, en le décorant pour six mois de
cohabitation, qu'on pouvait réussir sa vie sans devenir président de la
République, Valls aurait eu beau jeu de rétorquer qu'on peut tout rater
en Ie devenant. Plus besoin de posséder la science des conjectures pour
prévoir la catastrophe. EIle est déjà là.
PHILIPPE BOUVARDLe Figaro Magazine -- 14.11.2014