Vent et Marée
Tout un échantillon de bruits et d'odeurs accompagnent nos
journées d'aujourd'hui.
Le samedi matin, jour de marché, je devais accompagner ma mère,
à pieds avec les sacs et paniers, jusqu'au centre-ville. Il nous fallait la
matinée complète, pour ramener le ravitaillement d'une semaine, légumes de
saison, volaille, poule ou lapin de la ferme de nos cousins, lait de vache, et
petit lait qui était le régal, avec du pain trempé de mes parents et de ma
sœur, sans oublier les œufs enveloppés dans du papier journal pour le transport
sans casse!, ce qui était une autre chose. Il suffisait de ne pas avoir ce sac
à transporter soi-même, avec ruse, ma sœur pouvait avoir ce choix (l'âge lui
donnant plein pouvoirs sur moi).
Dans ce parcours de mon enfance, les marrons grillés de l'autre
côté du pont, nous donnaient une envie de dire (s'il te plait maman) tu
veux.... Et de sa petite locomotive dont s'échappait une fumée, ce monsieur au
tablier noir nous donnait un marron au passage, à nous enfants qui le
regardions avec de grands yeux; notre mère revenait sur ses pas avec dans un
cornet de papier bien gras, une mesure de marrons bien chauds, pour quelques
centimes de francs.
Tous heureux, le grignotage en marchant, les mains toutes
noires! Merci mouchoir de maman. Puis, c'étaient les retrouvailles de tous les
samedis, on discute de prix , de poids, de pluie, de l'école (tout le monde me
donne des conseils pour...)et tout cela au petit comptoir du café pour les
adultes devant un vin blanc ou café, puis c'était onze heures, le retour chargé
vers la maison, l'odeur de saucisses galettes de sarrasin, et de cette femme
énorme en tablier blanc et coiffe bretonne sur la tête... Même plainte auprès
de notre mère et nous avions double
galette saucisse, pour nous caler, pour le retour.
Là à la maison, papa, lui, avait fait l'aller-retour avec ses
grandes jambes, vers les halles aux poissons, afin de regarder l'arrivage selon
les saisons. Langoustines, crabes et autres fruits de la mer ou alors du foie,
cuisiné tout au beurre avec des pommes de terre qui embaumaient à notre retour
dans la maison. C'était la mise à table pour toute la famille, maman trouvait
une vaisselle à faire digne d'un trois étoiles du guide Michelin, mais pour se
faire pardonner papa avait fait une toilette de samedi, rasé de frais, il ne
sentait plus le charbon. Il avait droit à un petit baiser de ma mère avec notre
regard complice à nous, les enfants, chaque plat était bien préparé, avec amour
et plaisir à voir.
Il faudrait que je dise encore merci aujourd'hui, car pour moi,
tout cela est encore dans mes odeurs de bonheur.
C'est pour cela que cinquante ans plus tard, une simple odeur
qui m'arrive me rappelle de bien bons
moments de mon enfance.